Pas été injurié, roué de coups, frappé dans le dos et/ou sur la tête par un tonfa ; on ne m’a pas roulé sur la jambe avec une moto, on ne m’a pas mis dans le coma, on ne m’a pas arraché d’œil, ou de main, on ne m’a pas défiguré, on ne m’a pas broyé les testicules dans le véhicule qui m’emmenait au commissariat, on ne m’a pas tué à coups de matraques, ou poussé dans la Loire jusqu’à me noyer, on ne m’a pas passé les menottes aux poignets avec brutalité, serrées au maximum pour me faire mal, on ne m’a pas tutoyé, empêché de voir un médecin, refusé de l’eau ou exigé que je retire mon pantalon pour entrer dans la cellule, on ne m’a pas menacé, menti, on n’a pas fait pression sur moi pour que je parle ou signe quoi que ce soit, on ne m’a pas fait subir d’attouchements sexuels, on ne m’a pas violé, on ne m’a pas déshabillé – et devant tout le monde, caméras comprises, on ne m’a pas menacé avec un LBD à un mètre de la tête, on ne m’a pas nassé tout en envoyant du gaz lacrymogène pendant 1h, on ne s’est pas assis sur mon dos, on ne m’a pas fait de clé de bras, ni envoyé de grenade de désencerclement jusqu’à me faire mourir, on ne m’a pas tiré dessus à bout-portant, on ne m’a pas balancé d’éclats de métal dans la jambe ou dans le torse, on ne m’a pas cassé le bras, on ne m’a adressé aucune insulte homophobe ou sexiste, ni même aucune insulte du tout, mes droits légaux ont été respectés.
C’est la répression normale.
J’ai été arrêté par hasard en fin de manifestation. Ce jour-là, les procureurs semblent avoir répondu aux directives du ministère, et ont fait arrêter 3 ou 4 personnes au moins par ville d’importance, et les ont fait enfermer pour les mêmes chefs d’accusation, pour 48 h de garde-à-vue. Attroupement non-déclaré, masqué·es, violence sur personnes dépositaires de l’autorité publique ou sur biens ; ce dernier fait étant impossible à même tenter de prouver un tout petit peu par quelque moyen tiré par les cheveux que ce soit, on le change au bout des 2 jours en « groupement avec intention de » - Minority Report quoi.
Des centaines de personnes depuis ces derniers mois, dans la même situation ; la gestion de la contestation.
C’est la répression normale.
La répression normale, elle commence avec la confusion des pouvoirs : le ministère (exécutif) donnant des ordres (politiques) à la procureure (judiciaire) : « … n’a point de constitution ».
La répression normale, c’est être arrêté en plein centre-ville et gardé, entouré, armes à la main, devant tout le monde comme on le fait des criminels les plus dangereux.
C’est être fouillé dans la cour, aux yeux de toutes et tous, ceinture, chaussures, tout objet personnel.
C’est l’enfermement à loisir, sans être jugé.
48 h, c’est long, et quand on n’a rien fait, c’est tout aussi long – on est sûr de sortir dans l’heure, on est sûr de sortir avant la nuit, on est sûr de sortir le matin, on est sûr de sortir au bout de 24 h – là, on comprend qu’on fera les 48 h, car la sanction (de quoi ?) c’est la garde-à-vue. La répression normale, c’est utiliser la garde à vue comme gestion des opposant·es politiques, pour leur faire peur, elleux et leurs copaines, pour leur faire mal, pour les dresser. C’est légal, mais pas trop (légal dans la lettre, pas dans l’esprit).
La répression normale, c’est avoir froid et n’avoir qu’une couverture de survie pour tenter de l’empêcher. C’est être 3 dans une cellule de 7 mètres carrés plusieurs heures pendant la nuit, car la zonzon est pleine à craquer. C’est n’avoir que 2 matelas, jamais lavés entre chaque détenu·e, pour ces 3 personnes, sans donc possibilité de s’allonger.
Comme on peut faire de la garde à vue pour avoir manifesté, on peut y rencontrer ceux qui la font pour avoir peut-être volé 2 sandwichs.
C’est être mis dans la saleté la plus crasse, accéder à des toilettes qui sont dans un état de dégueulasserie jamais entrevu, avec du papier lui-même traînant par terre, sans chasse d’eau. C’est l’impossibilité de se laver, ni même les mains, ni même la figure, ni même les dents, ni même le cul.
C’est savoir, par la marge d’un avocat qui visite légalement les lieux de privation de liberté, que la zonzon n’est pas aux normes. Légalité pour les un·es, illégalité pour les autres.
La répression normale, c’est entendre le type d’à côté jeté dans la « prison de la prison » (le trou du trou, la cellule de la cellule, celle la plus éloignée, qui sent la merde à des kilomètres, de l’autre côté du couloir et du bureau des troufions), ayant de gros soucis psychologiques, taper sur la porte d’une force surhumaine, crier d’une force surhumaine, de longues heures durant, insulter tout le monde et surtout la terre entière, se défonçant lui même la main et les jambes, en pleine nuit, pendant que les troufions prennent le café ensemble et discutent posément du match de foot du soir.
La répression normale, c’est faire une crise d’angoisse lorsque la prolongation est annoncée au bout de 24h, et devoir attendre 3h pour voir un médecin ; 3h de pleurs, de difficulté à respirer, de froid décuplé, d’envie de gerber, de mal de tête insoutenable.
La répression normale, c’est « la république se vit à tête découverte », c’est « le masque anti-covid est fortement recommandé », et jouer sur l’un ou sur l’autre en fonction de ce que souhaite le pouvoir.
C’est enfermer les gens 48h, quelque soient les conséquences pour leur vie personnelle.
C’est devoir, au risque du délit annoncé, livrer ses empreintes et sa photo, pour un fichier qui ne sera jamais détruit, quelque soit l’issue de la procédure. La répression normale, c’est le mépris social de la procureure, du juge des libertés et de la détention.
C’est être privé à sa sortie du droit de manifester pendant 3 mois, droit fondamental, sans qu’une quelconque culpabilité ait été prononcée – car inexistante.
C’est ne plus pouvoir croiser, discuter, s’organiser, danser, avec les ami·es arrêté·es le même jour.
Puis, c’est devoir stresser quand même un peu, pour un procès qui ne peut être que factice. La répression normale, c’est le spectacle. C’est la procureure qui te fait la morale, qui se permet de juger ce que tu es, sans que tu ne puisses répliquer d’aucune manière.